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– Beldorion le splendide vous envoie ses compliments, Votre Excellence. (Dans l’embrasure de la porte, le synthédroïd s’inclina.) Il serait très heureux si vous l’honoriez de Votre présence pour prendre le thé.
Tiens donc ? Leia dut se mordre les lèvres pour que l’exclamation ne lui échappe pas. Le cube holographique publicitaire vantant les mérites des synthédroïds ne mentionnait rien à propos de leurs récepteurs sonores et visuels. Difficile de savoir si ceux-ci étaient reliés à un système permettant au propriétaire de voir et d’entendre par l’intermédiaire de leurs serviteurs synthétiques. Leia savait fort bien que dans certains milieux, c’était monnaie courante. Le Doux Epanouissement avait malheureusement tendance à la rendre moins prudente. Avec Dzym dans les parages, il fallait pourtant qu’elle fasse aussi attention que si elle avait à marcher sur le fil d’un rasoir.
– Maître Ashgad sera-t-il des nôtres ? demanda-t-elle d’une voix un peu brumeuse.
Elle exagérait volontairement l’effet de la drogue sur son élocution quand elle était en présence d’un synthédroïd. Elle le faisait également quand elle était avec Liegeus. L’une de ses camarades de classe de l’Académie était une toxicomane chronique et Leia s’en souvenait suffisamment pour imiter ce timbre de voix chantonnant si caractéristique des drogués. Personne n’était venu jusqu’à présent la voir pour la forcer à boire l’eau de la cruche. Cela l’avait autorisée à penser que la chambre qu’elle occupait n’était pas bourrée de micros. A cause des effets de la drogue, cette idée ne lui était venue que fort tardivement. Son hypothèse datait du matin même.
– Je n’en sais rien, Votre Excellence.
– C’est juste pour savoir ce que je dois porter, murmura-t-elle rêveusement pour le compte d’un éventuel auditeur.
– Je n’en sais rien, Votre Excellence.
Non, pensa Leia après le départ du synthédroïd, qu’elle ait énormément de choix en la matière…
Depuis son poste d’observation, sur la terrasse, elle avait pu dénombrer cinq synthédroïds. Certains se ressemblaient tellement qu’il y en avait peut-être plus. Deux d’entre eux portaient des marques de nécrose. La chair qui se décomposait lentement autour de leur squelette de métal avait apparemment quelque chose à voir avec la présence de Dzym et de la Semence de Mort.
Elle se demanda s’il était possible – et elle commençait d’ailleurs à le penser – que Dzym puisse contrôler, d’une manière ou d’une autre, cette sinistre Semence de Mort. Cela expliquerait la précision du timing requis pour le détournement de l’Inflexible et du Boréalis et le fait qu’elle aurait elle-même survécu à la maladie. Cela expliquerait pourquoi ni Ashgad ni Liegeus n’avaient contracté cette peste. Cela expliquerait les peurs de Liegeus… Peut-être découvrirait-elle une autre explication, d’autres détails, quand son esprit serait à nouveau clair…
Si elle survivait jusque-là.
Leia frissonna et décida de se changer. Elle passa sa robe rouge et bronze et enfila la veste écarlate qui complétait sa tenue.
Le synthédroïd fit sa réapparition une demi-heure plus tard. Leia était en train de porter la dernière main à sa coiffure. Elle essaya de se souvenir, autant que possible, des directions et de la configuration de la maison. Un long couloir… Descendre une volée de marches… Une porte blindée en métal s’ouvrait au bas de l’escalier. Par l’ouverture, Leia découvrit une vaste installation, évoquant un pont-hangar, qui s’ouvrait dans les flancs de la montagne au-dessus d’un plateau. Un vaisseau cargo, d’allure très fonctionnelle et de taille moyenne, attendait sur l’aire d’envol. Des synthédroïds allaient et venaient autour de lui, transportant ce qui semblait être les éléments d’un ordinateur. La construction de l’appareil était donc bien avancée. Liegeus fit son apparition et recommanda à l’un des synthédroïds qui passait à côté de lui de « … bien connecter tous les fils verts d’abord avant de passer aux rouges… ». De l’autre bout de la piste en permabéton, son regard croisa celui de la princesse. Il s’interrompit, stupéfait.
– Par ici, je vous prie, Votre Excellence, dit le synthédroïd qui accompagnait Leia.
Elle réalisa alors qu’elle était restée plantée dans l’ouverture de la porte blindée. Elle se remit précipitamment en route. Ils tournèrent dans un couloir et descendirent un autre escalier. L’odeur du Hutt arriva jusqu’à elle comme une bourrasque d’air chaud.
– Comme tout est calme ici. Effroyablement calme, dit Beldorion en recalant sa silhouette d’énorme python au milieu des coussins sur lesquels il était étendu.
En vieillissant, les Hutts avaient une tendance à l’obésité. En dépit de ses incessants grignotages, le Splendide avait conservé sa puissance physique et sa foudroyante rapidité. Il n’avait rien à voir avec Korrda, le pitoyable et maigrelet disciple de Durga le Hutt, qui, sur Nal Hutta, faisait l’objet d’un grand nombre de moqueries. Chose qui n’était pas courante chez les représentants de son espèce, Beldorion avait une prédilection pour les bagues en or qu’il exhibait fièrement à chacun de ses doigts. Il s’était fait également percer les plis de la chair autour de la tête pour y porter des anneaux et un diamant de taille respectable ornait sa lèvre inférieure. Le long d’un baudrier en cuir de reptile incrusté d’or était accroché son sabrolaser. Le métal brut et sombre de l’arme paraissait déplacé en regard de l’opulence de la ceinture.
– Comme c’est aimable de Votre part de vous joindre à moi, petite princesse. Vous devez trouver les jours bien longs, là-haut dans Votre chambre.
– Un peu longs, effectivement, admit Leia, se demandant où cette conversation allait la mener. (Elle se remémora les détails révoltants de son emprisonnement à la cour de Jabba. Elle en appela à la raison et se dit que même si Ashgad n’avait pas eu vent de cette invitation – elle était d’ailleurs certaine qu’il n’était absolument pas au courant – ils se trouvaient tous sous son toit.) Maître Ashgad a été très attentif à mes besoins.
– Oh… Il a été très attentif aux miens aussi. Aux miens aussi… gronda Beldorion de cette voix gluante venue du plus profond de sa gorge caverneuse. Il est vrai que je ne me trouve pas tout à fait dans la même position que vous mais… J’ai tout le confort qu’il me faut. J’ai mon propre chef cuisinier. Pour être tout à fait franc, petite princesse, ce nouveau marmiton n’arrive pas à la cheville d’un Zubindi Ebsuk. Ah… Zubindi… (Il soupira de façon révoltante et plongea la main dans la vasque de porcelaine remplie de cognac pour s’emparer d’une des boules hérissées de pointes – un prabkros mariné – qui y flottaient.) Ah, lui c’était un chef ! A sa mort, j’étais désespéré. Catastrophé. C’était un Kubaz, comme ce nouveau, et il n’avait pas son pareil pour accommoder les insectes. « Procurez-moi les bonnes hormones, les bons enzymes à injecter, avait-il coutume de dire, et je vous transforme une puce des sables en plat de résistance, en festin de roi ! » Et il y arrivait, le bougre ! (Les yeux écarlates du Hutt se fixèrent sur Leia.) Il y arrivait…
Au fond de son estomac, quelque chose gronda. Leia sentit aussitôt que l’esprit de Beldorion cherchait à toucher le sien. La sensation était faible et légère, certes, mais il était bel et bien en train d’essayer de la soumettre à sa volonté. Elle comprit immédiatement le danger à se laisser hypnotiser par les sphères écarlates des yeux de Beldorion et elle détourna le regard. Avec toute cette drogue qui engourdissait ses réflexes, il était particulièrement ardu de ne pas se soumettre à sa domination.
– Ashgad, tiens… Il s’est proclamé Champion des Nouveaux Arrivants mais qu’est-ce que ça veut dire, hein ? Du temps où je gouvernais Hweg Shul, les gens venaient me trouver pour m’exposer leurs problèmes et je pouvais rendre la justice. Et mes décisions étaient justes et reconnues par tous, vous savez ? (Ses yeux rouges tentèrent une nouvelle fois de capter l’attention de ceux de Leia.) J’étais un bien meilleur gouverneur. Bien plus fort, également… Il était très difficile de résister à ce regard.
– J’en suis persuadée, répondit-elle.
Il ricana et passa l’une de ses petites mains jaunes derrière l’un des coussins. Ayant attrapé un droch de la taille d’une phalange humaine, il le jeta dans sa bouche et l’air absent, le fit craquer d’un coup de langue.
– Il n’aurait jamais pu s’emparer de ma place si je n’avais pas été extrêmement fatigué. C’est tout. Tous ces combats avec cette Taselda, ça m’avait achevé. Tenez, mon petit, goûtez-moi ça.
Il leva une main. A l’autre bout de la salle, un plat en argent martelé se mit à vibrer sur le dessus d’une console de bois noir et de cristal. Le plat s’éleva dans les airs et vola dans leur direction. Alors qu’il était presque arrivé jusqu’à eux, il vacilla et tomba vers le sol. Malgré les effets abrutissants du Doux Epanouissement, les réflexes de Leia étaient encore vifs. Elle plongea entre les coussins et rattrapa le plat. Sur celui-ci étaient disposés des rouleaux d’un genre indéterminé, entourant un lit de produits dont l’odeur rappelait des extraits pétrolifères. Au-dessus de tout cela avait été placée une curieuse chose vaguement bleuâtre qui rappelait une énorme baie. Au cours de sa brève existence d’obligations diplomatiques – et des banquets qui les accompagnaient – Leia n’avait jamais rien vu de pareil.
– Qui est Taselda ? demanda-t-elle en lui tendant le plat.
– Une ancienne collègue. (Il s’empara du fruit qui trônait sur le dessus.) Elle et moi, nous sommes arrivés sur cette planète en même temps. Oh, c’était il y a bien des années. Mais elle est vite devenue jalouse du respect que me vouait la population locale. Elle était également envieuse de mes talents. Figurez-vous qu’elle était incapable de fabriquer le, comment dire, l’outil le plus élémentaire de notre ordre. Elle a tenté tout ce qui était en son pouvoir pour me discréditer. Des coups d’épingle, pour la plupart, mais désagréables néanmoins. Certains de ses hommes ont essayé de s’introduire dans mon palais… Enfin, vous voyez, ce genre de choses… Cela s’est reproduit plusieurs fois, même après mon installation chez Ashgad. Maintenant, très chère, dites-moi si ce n’est pas le goût le plus exquis qui ait jamais existé dans cette galaxie ?
Leia ramassa les couverts à fruits qui étaient disposés sur une petite table voisine et se coupa une tranche de l’énorme baie bleue. Elle observa Beldorion engloutir le reste avec un enthousiasme tout rabelaisien avant de goûter elle-même à son morceau. Elle regretta immédiatement de ne pas s’être coupé de tranche plus épaisse. Le fruit était délicieux, à la fois sucré et fort, juteux et subtilement chambré.
– Zubindi savait comment les faire pousser jusqu’à ce qu’ils atteignent le triple de la taille de celui-là, dit Beldorion en soupirant. Et leur saveur ? Ah, leur saveur… Celui que nous mangeons passerait pour du vieux carton à côté de ceux qu’il arrivait à cultiver. Me croirez-vous, mon enfant ? Ce que vous avez devant vous n’est ni plus ni moins qu’un kelp gnat rodien ! Seulement il a été élevé aux enzymes et maintenu à maturité pendant plus d’un an, au lieu des quelques jours habituels. Zubindi savait les faire durer près de cinq ans, il les transformait, en faisait des formes de vie complètement différentes ! La dernière année, certains chantaient ou sifflaient, d’autres cavalaient un peu partout sur les petits tentacules qui leur étaient poussés. Dieu seul sait ce qu’ils seraient devenus si ce cuisinier de génie avait réussi à prolonger encore plus leur existence ! Ah, je me souviens encore de sa façon de torturer les britteths ! La chair de britteth, comme vous le savez certainement, s’améliore considérablement grâce à l’enzyme que sécrète l’animal quand il meurt dans d’atroces souffrances… Ah ! Je me dis souvent que je n’arriverai jamais à me remettre complètement de la disparition de Zubindi…
Il plongea la main dans sa vasque de cognac et, tout en versant une larme sentimentale, attrapa un prabkro. Avec tact, Leia se coupa une minuscule tranche du rouleau. Les chefs Kubaz étaient réputés dans toute la galaxie. Ils injectaient toutes sortes d’enzymes à des formes de vie insectoïdes et procédaient à des croisements génétiques dans le but d’obtenir les chairs les plus parfaites et les plus délectables. Il était donc impossible de savoir ce qui était réellement entré dans la composition de ce plat.
– Qu’est-ce qui vous a poussé à venir ici, au départ ? demanda Leia.
Le Hutt secoua sa grosse tête. Sous ses épaisses paupières, ses yeux étroits, pareils à des joyaux, observèrent la jeune femme.
– Je pense que vous le savez, dit-il. (Sa voix de basson se fit murmure, comme ce grondement léger du vent qui précède l’arrivée des typhons. Sa longue langue pourpre passa lentement sur les commissures de ses lèvres, à la recherche des dernières miettes de fruit, avant de disparaître.) Je pense que vous l’avez ressentie. Cette lumière. Cet océan de clarté qui inonde l’univers, qui envahit chacun des représentants de notre ordre. Il y a des histoires de voyageurs, de vieilles légendes, d’antiques carnets de bord… On prétend que tout a démarré ici. Mais, ça, vous le savez déjà. (Ses yeux réussirent à capter l’attention de Leia. Il était impossible d’y échapper.) Une jeune femme comme vous, dotée de talents si… particuliers, pourrait fort bien avoir besoin d’alliés dans une situation comme celle dans laquelle nous nous trouvons ici. On ne peut pas faire confiance à Ashgad, vous savez, mon petit ? En plus, il n’a jamais vraiment eu l’étoffe d’un gouverneur.
Il tendit l’une de ses mains couvertes de bagues en or et Leia se trouva dans l’incapacité de reculer.
Depuis la porte d’entrée, une voix calme et grave s’éleva :
– Enfin, lui, au moins, il n’a jamais vendu l’un de ses esclaves à Dzym.
Beldorion sursauta et se retourna en émettant un sifflement de reptile. Leia fit un bond en arrière et réussit à échapper à l’emprise du regard du Hutt. Liegeus se tenait dans l’embrasure de la porte, ses cheveux grisonnants lui tombant sur les yeux dans lesquels se lisaient la peur et la colère. Pendant un long moment, il resta immobile à les observer tous les deux puis il se décida enfin à entrer et traversa la pièce dans leur direction.
– Eh bien, monsieur le philosophe, fit Beldorion tout doucement. (Un soubresaut agita son corps immense. Sa queue, de plus de deux mètres de long, se mit à battre d’avant en arrière comme habitée d’une vie propre. Ses yeux amarante se plissèrent.) Il me semble vous avoir déjà dit en de nombreuses occasions que je ne tolérais pas les interruptions.
Liegeus marqua un instant d’hésitation. Il écarquilla les yeux comme s’il venait de se souvenir de quelque chose de désagréable, puis s’avança et prit la main de Leia.
– Que vous a-t-il proposé, ma chère ? (Sa voix était sûre mais elle sentit que les extrémités de ses doigts étaient glacées et que sa main tremblait dans la sienne.) Un partenariat pour gouverner cette planète ? Ou tout simplement Votre liberté en échange d’un coup de main pour le réinstaller au pouvoir ?
Il aida Leia à se relever et la conduisit jusqu’à la porte. Beldorion ne tenta rien pour les arrêter. Quand Liegeus avança la main vers la plaque de commande du panneau, Leia aperçut du coin de l’œil que le Hutt faisait un geste dans leur direction. Liegeus poussa un râle, comme si on venait de le frapper. Apparemment à l’agonie, il porta la main à sa tête. Voyant que la douleur allait plonger l’homme dans un état de choc, Leia appuya elle-même sur la commande. La porte s’ouvrit en glissant. Le pilote, soutenu par le bras et s’appuyant contre le mur, s’engagea à l’aveuglette dans le couloir.
A mi-chemin dans le corridor, entre la salle qu’ils venaient de quitter et la baie d’appontage des appareils, Liegeus se redressa et reprit son souffle avec difficulté.
– Migraine… parvint-il à articuler entre ses lèvres exsangues. Il me fait ce coup-là de temps en temps, quand j’arrive à le battre aux échecs holographiques. Il y a des fois où c’est pire… (Il secoua la tête et porta la main à sa gorge. Après un coup d’œil à la porte blindée, il prit la princesse par le bras et la conduisit rapidement jusqu’à l’escalier.) Est-ce qu’il a essayé de vous influencer ? Ne lui faites pas confiance, ma chère.
– Et je suppose que, du coup, je devrais faire confiance à Ashgad ?
Liegeus détourna le regard.
Ils montèrent les marches en silence et empruntèrent le couloir qui menait à la chambre de Leia. Le pilote composa le code du verrou, en veillant à ce que son corps fasse écran.
– Beldorion ne tient pas ses promesses, répondit-il finalement. Et même s’il en était capable, il ne pourrait pas vous protéger de Dzym. Il ne peut pas non plus tenir tête à Ashgad. Il n’était déjà pas de taille quand Ashgad a débarqué ici pour la première fois, il y a quelques années.
Leia, stupéfaite, le regarda.
– Mais Ashgad… Je veux parler du père… commença-t-elle.
Leurs yeux se croisèrent. Liegeus tourna la tête et Leia vit à un frémissement au coin de sa bouche qu’à cause de la migraine, il en avait déjà trop dit. Il la fit entrer dans la chambre, recula vivement et referma la porte derrière lui.
Leia tituba jusqu’à la tête de son lit. Ses genoux, incapables de la supporter plus longtemps, l’obligèrent à s’asseoir. La soif recommençait à lui donner des vertiges. Elle avait également du mal à se remettre de son affrontement avec Beldorion. Elle regarda dans là direction de la cruche d’eau et se releva. Elle emporta le récipient sur la terrasse et en vida le contenu par-dessus le parapet. Sa soif était bien trop pressante et elle pourrait facilement oublier qu’il fallait qu’elle évite de boire.
Elle devait garder l’esprit clair. Est-ce à cause du Doux Epanouissement ? songea-t-elle. Est-ce que Liegeus évoquait autre chose ? L’ai-je mal compris à cause des effets de la drogue ? Existe-t-il une autre explication rationnelle ?
La seule explication qu’elle pouvait trouver aux propos de Liegeus, c’était que l’homme qui s’était présenté comme le fils de Seti Ashgad, le vieux rival de l’Empereur Palpatine au Sénat, n’était autre que Seti Ashgad lui-même.
– Bon, alors qu’est-ce qu’on a ?
Yan Solo descendit prestement l’échelle du poste d’observation. En deux enjambées, il rejoignit Lando Calrissian penché sur la console des scanners à longue portée. Les lignes lumineuses rouges et jaunes qui striaient le moniteur se reflétaient sur les traits basanés de l’ancien joueur. Lando ajusta une commande de calibrage, ce qui eut pour effet de modifier le flot lumineux. Dans la confusion de l’écran du spectrographe, apparurent les données qui l’avaient poussé à inviter Yan à le rejoindre.
– On dirait des traces de chaleur près de la cinquième planète de ce système. Damonite Yors B. Il n’y a rien, là, normalement. Il n’y a jamais rien eu. Tiens, regarde, le graphe nous indique que ça se refroidit… (Il concentra son attention sur les bandes noires du spectre lumineux.) Pas de doute, ce sont bien des traces de carburant éjecté par des réacteurs.
Yan se pencha par-dessus l’épaule de son ami et appuya sur un autre bouton. Les données sur l’écran se précisèrent et l’ex-contrebandier poussa un juron.
– Heureusement que j’ai pensé à emporter ma petite laine. (Lando pianota sur les commandes d’un autre écran.) Ce truc est assez gros pour être l’Inflexible. A la chaleur qui se dégage dans l’atmosphère, je dirai que cela fait bien dix heures qu’il est là.
Yan avait déjà rejoint la console principale. Il programma un nouveau cap.
– Tiens bon, Leia, murmura-t-il. Ce n’est pas le moment de lâcher prise.
L’approche de la planète fut un cauchemar. L’atmosphère tout entière n’était qu’un vaste et sauvage ouragan. Le Faucon fut ballotté comme une assiette de plastène perdue dans un torrent. Yan et Chewbacca redoublèrent de virtuosité à la console de pilotage. Ils luttèrent contre les bourrasques ioniques qui frappaient massivement l’appareil et brouillaient les senseurs, empêchant ainsi toute reconnaissance du sol. Yan réussit à ne plus penser à rien, à se concentrer exclusivement sur ce petit point de chaleur qui apparaissait au beau milieu des données sur l’écran. Un point qui allait s’obscurcissant, passant de l’orange au brun, au cours des heures passées à piloter aveuglément dans les tornades titanesques.
Elle ne pouvait pas mourir, pensa-t-il. Il n’avait aucune idée, vraiment aucune, de ce qu’il ferait, de ce qu’il deviendrait, si elle venait à disparaître.
Il ne pouvait concevoir sa vie sans elle.
Dans la tourmente des déchets atmosphériques en suspension dans l’air, les senseurs se mirent à repérer l’emplacement des débris figés dans la glace en contrebas. La plupart d’entre eux étaient ensevelis à plusieurs mètres de profondeur. La glace millénaire, qui s’était liquéfiée au passage du vaisseau en perdition, s’était de nouveau solidifiée en l’espace de quelques minutes, emprisonnant morceaux de coques, stabilisateurs cassés et capteurs déformés par les frictions des couches d’air. Le sillon provoqué par le crash se dirigeait vers une crevasse d’un demi-kilomètre de large et de plusieurs kilomètres de profondeur. Yan amena le Faucon juste au-dessus de l’ouverture. Il retint sa respiration en essayant d’imaginer l’angle qu’avait dû prendre l’appareil.
Il n’a pas basculé… Dites-moi qu’il n’a pas basculé.
Le sillon, creusé en « V » dans la glace, s’arrêtait au bord de la crevasse.
– Tiens, la voilà, dit Lando.
L’espace d’un instant, Yan pensa que son ami parlait de Leia et non de l’épave du vaisseau.
A quarante ou cinquante mètres sous l’ouverture béante, se trouvait une sorte de falaise, un décrochement assez grand pour qu’on y construise une petite usine. Au-delà de ce promontoire, la profondeur de la crevasse était effroyablement indiscernable. La vue était terrifiante. La coque du vaisseau s’était déchirée en franchissant le bord de la cavité de la plaine enneigée. Sa structure reposait à présent en équilibre au bord de la fissure plus profonde, comme une luxueuse villa de plusieurs millions de crédits, accrochée à une falaise au bord de la mer. Une vague lueur rouge, passant à travers les ouvertures dans la carlingue défoncée couverte de glace, émanait de l’emplacement des propulseurs moribonds.
Les numéros de série étaient encore lisibles.
– Mais qu’est-ce que c’est que ce vaisseau-là ?
Sans plus attendre, Chewie programma les chiffres dans l’ordinateur. Il s’agissait du Corbantis, en provenance de la base orbitale de Durren. Il avait été porté disparu, deux heures à peine avant que le Faucon ne quitte Hesperidium.
Ce n’était pas l’Inflexible. Ni le Boréalis.
Yan hésita entre le soulagement et le désespoir.
Au prix de multiples efforts, le Faucon Millenium effectua un autre passage au-dessus de l’épave et alla se poser dans le sillon, à une douzaine de mètres de l’endroit où le Corbantis avait basculé dans la crevasse. Un filin de remorquage fut largué et déroulé dans le ravin, par le cargo corellien, juste avant l’atterrissage. Le contrepoids, au bout des soixante-cinq mètres de câble en mégafilaments, descendit le long de la falaise et s’immobilisa très près de l’appareil écrasé. Laissant Lando aux commandes du Faucon, Yan et Chewie s’équipèrent et entamèrent leur descente le long du filin en s’y accrochant fermement. Le vent cinglant faisait voler de la glace qui venait se plaquer contre le casque de leur combinaison isolante.
A tâtons, ils descendirent le long de la paroi de la crevasse, en direction de la lueur faiblissante des réacteurs. Les puissantes lampes au sodium qui équipaient les combinaisons de survie n’étaient pas assez fortes pour percer le brouillard presque aveuglant. Dans ces conditions, il était impossible de voir l’ensemble des dégâts.
– Il est petit, ce vaisseau, hurla Yan dans l’émetteur de son casque pour tenter de couvrir les interférences. (Il indiqua les marques de brûlures qui lardaient la coque. Chewie grogna son acquiescement.) Tu as vu la trace d’un quelconque destroyer sur les senseurs, Chewie ? Un bazar assez gros qui aurait pu transporter des Tie ou des chasseurs ?
Le Wookie ne répondit rien. Un peu plus loin, le disque argenté et déformé d’un générateur d’écran déflecteur gisait dans la neige. Le métal calciné par les tirs de laser luisait dans la lumière tremblotante des combinaisons.
– Dis donc, si c’est une navette qui a fait ça, elle est équipée d’une sacrée artillerie. Et puis, faut avoir envie d’amener une navette jusqu’ici…
Le grognement de Chewbacca résonna dans l’écouteur de Yan. Le pilote Wookie en savait beaucoup sur les petites bases de contrebandiers de cette région de la galaxie. Bien plus qu’un avare ne connaissait de choses sur le contenu d’une cassette pleine de crédits. Yan lui fit confiance quand il déclara qu’il n’existait aucun endroit, à quarante parsecs à la ronde, d’où pouvait provenir un détachement de navettes armées jusqu’aux dents.
Génial, se dit Yan. Ça veut dire qu’il y a un destroyer dans les environs… Ou alors toute une flotte de destroyers… On avait vraiment besoin de ça.
Les premiers membres de l’équipage, qu’ils découvrirent dans les soutes les plus exposées, étaient tous morts. Sous l’épaisse couche de givre blanc et de glace, la cause réelle du décès était assez difficile à déterminer. Yan était cependant intimement persuadé que ces hommes et ces femmes étaient morts lors d’une bataille. Les canalisations de liquide de refroidissement sectionnées et les enchevêtrements de câbles indiquaient que l’appareil avait souffert de graves avaries internes. La coque était percée de nombreux trous. Celui par lequel Yan et Chewie avaient pénétré à l’intérieur était très grand. Bien trop grand pour que les systèmes de scellement magnétique puissent y remédier. On avait verrouillé les sas blindés dans l’espoir de préserver un minimum d’atmosphère dans le reste du vaisseau. Chewie dut court-circuiter la boîte de fusibles afin de pouvoir ouvrir le panneau manuellement.
Dans les coursives, les corps étaient couverts de givre. Leurs formes brillaient doucement dans l’obscurité. Il y en avait des centaines, en colonne dans les couloirs, comme des particules de métal bien alignées dans un champ magnétique. La plupart avaient tenté de ramper vers les zones les plus chaudes de l’appareil. Le froid ayant eu raison du système d’isolation les avait tués un à un.
Ils étaient allongés face contre terre, ce dont Yan était plutôt content. Il avait déjà eu l’occasion de voir des hommes et des femmes morts de froid et, dans la plupart des cas, leurs visages exprimaient une sorte de sérénité. C’était une vision très troublante. Se frayant maladroitement un chemin parmi les corps, Solo avait l’impression d’être un intrus dans sa combinaison isolante de plastène vert. Il aimait autant ne pas avoir à regarder leurs visages.
Un peu plus avant dans les coursives, quelques panneaux d’éclairage émettaient encore faiblement leurs lueurs rouges ou ambrées. Les signaux d’alerte aux radiations étaient tous allumés. Une voix mécanique et confuse de femme répétait inlassablement, avec la précision d’un droïd, que le niveau des radiations était anormalement élevé et que les membres de l’équipage étaient invités à mettre en route la procédure antiradiation D4. Après avoir entendu le message sept ou huit fois, Yan n’eut qu’une envie : trouver le droïd répétiteur et le réduire en miettes à coups de marteau. Malheureusement, la litanie infernale ne cessa pas pendant tout le temps que Yan et Chewie passèrent à bord de l’épave. La chaleur ambiante était à présent suffisamment élevée pour commencer à faire monter de la condensation le long des combinaisons. Le thermomètre au poignet de Yan indiqua qu’ils évoluaient dans une zone où la température atteignait le point de glaciation de l’alcool. Il y avait beaucoup moins de cadavres par terre.
– Ils ont dû aller jusque dans les réacteurs, dit-il dans le micro de son casque.
Chewie hocha la tête.
Quand il s’était laissé prendre par la nuit polaire sur Hoth, Yan avait éventré la dépouille de son tauntaun pour que ses entrailles encore fumantes protègent son ami Luke du froid et l’empêchent de tomber en état de choc. De la même façon, les derniers survivants du Corbantis avaient rampé jusque dans les entrailles du vaisseau pour profiter des derniers rayonnements de chaleur émis par les réacteurs. Un pari désespéré pour essayer de vaincre la froidure jusqu’à l’arrivée des secours.
Ce fut effectivement là que Yan et Chewie les découvrirent, brûlés par les radiations, comme s’ils avaient été exposés à une supernova. Dix-sept d’entre eux étaient toujours en vie parmi l’amoncellement de corps inanimés. Deux trépassèrent au cours de l’éprouvant processus visant à transporter les survivants, sur une civière antigrav, à travers le blizzard, le long de la falaise et jusqu’au Faucon. Un par un. Quinze voyages épuisants qui laissèrent Solo et le Wookie engourdis de fatigue. Ils installèrent des systèmes élémentaires de survie dans les soutes que Yan, du temps où il était encore contrebandier, utilisait pour passer en fraude de la drogue et de l’ivoire. Lors d’un dernier voyage jusqu’à l’épave, pour y récupérer des sérums vitaux et des ampoules de fortifiants, Yan en profita pour télécharger le journal de bord du Corbantis.
– Bon, on les emmène où ? demanda Lando en pilotant à nouveau le cargo hors d’âge à travers les tourmentes atmosphériques.
Yan demeura, l’air absent, dans l’embrasure de la porte du poste de commande, trop fatigué pour bouger. Lando n’avait eu que rarement l’occasion de voir ainsi son ami perdre son assurance et rester impassible face à une catastrophe. Yan se dirigea vers les panneaux de contrôles auxiliaires. La fatigue le fit tituber.
– Hé ! Je peux m’en occuper, mon pote ! s’exclama Lando en lui jetant un rapide coup d’œil. Retourne derrière et va t’allonger. Certains de ces types que tu as ramenés ont bien meilleure mine que toi, tu sais ?
Yan lui adressa un petit signe et se laissa tomber dans son fauteuil. Il ne fit rien de plus pour aider à la manœuvre de décollage. Il lui avait fallu près de dix heures pour ramener tous les survivants à bord. Il savait qu’il était bien trop épuisé pour se trouver devant un boîtier de commande plus sophistiqué que celui d’une chaise de relaxation automoulante, et pourtant, même dans son état de fatigue, ça lui faisait tout drôle de voir quelqu’un d’autre que lui aux commandes du Faucon.
– Je dirais que Bagsho est notre meilleure chance, dit-il mollement.
Il ferma les yeux et appuya son front contre son poing dans l’espoir d’effacer le souvenir de ces corps pressés les uns contre les autres, essayant de profiter du rayonnement des propulseurs. Les survivants étaient ceux qui avaient eu le temps d’enfiler des vêtements de protection. Une bonne douzaine, en dépit de leurs combinaisons antiradiations, avaient péri dans d’atroces souffrances et n’étaient plus que des amas de chair carbonisée. Il n’y avait aucune probabilité, aucune chance, pour que Leia se soit trouvée à bord – ou à proximité – de ce vaisseau depuis le jour de la cérémonie de lancement au cours de laquelle elle avait coupé le ruban. Solo savait que son désir, presque hystérique, de vérifier chaque corps dans la chambre des propulseurs n’était rien d’autre, justement, que de l’hystérie.
Mais il ne pouvait s’empêcher d’imaginer Leia – sa chair brûlée, ses longs cheveux lisses disparus en fumée, ses yeux fondus dans leurs orbites – dans cet endroit…
Il inspira profondément et reprit la parole, comme si de rien n’était.
– C’est là que sont installés les équipements médicaux du secteur. Dans une petite base. On peut toujours vérifier s’il n’y a pas de mouvements ennemis dans cette région. Je n’ai vu aucun signe de grosse artillerie mais il faut un peu plus qu’une poignée de petites navettes pour descendre un croiseur de combat, non ?
– Des mouvements ennemis ? (Lando ne tourna pas la tête. Il était concentré sur le pilotage du Faucon afin d’éviter que celui-ci ne soit réduit en bouillie par les forces destructrices de la stratosphère. Sa question, lourde de signification, ne nécessitait aucun geste superflu.) Quels ennemis ? Les partisans de Durren ? Cette flotte pirate de fous furieux… Enfin, je veux dire, ceux qui sont censés avoir attaqué Ampliquen ? Ceux qui ont fait le coup d’Etat sur Kay-Gee ? Il n’y a pas de…
Quelque chose ricocha sur le Faucon, semblable à la décharge d’un arc électrique.
Solo eut un mouvement teinté de surprise et de protestation. Il plongea vers le panneau de contrôle. La violence de l’impact le déséquilibra. Derrière lui, dans la coursive, il entendit Chewie pousser un énorme grognement.
– Qu’est-ce que… hurla Lando.
Solo se redressa sur ses genoux. Il allait se relever quand une nouvelle décharge l’envoya valdinguer à l’autre bout du poste de pilotage.
– Attends, ça venait d’où, ça ?
– Je ne sais pas. Il n’y a rien sur les écrans ! cria Lando en poussant les commandes à fond.
L’appareil monta en chandelle, échappa aux derniers tourbillons de l’atmosphère et plongea dans la noirceur de l’espace. Un autre coup, un autre rayon laser, rebondit sur les déflecteurs. Les indicateurs de surcharge se mirent à clignoter, en rouge et ambre, sur la console comme des décorations de Noël. Yan se précipita vers l’échelle menant à la tourelle de tir en poussant force jurons. Il se demanda soudainement si tout cela avait quelque chose à voir avec la disparition de Leia ou avec le croiseur de combat échoué sur la planète en dessous d’eux.
A moins que ce ne soit l’avertissement de quelque divinité galactique rongée d’ennui, estimant que Solo avait eu la vie trop facile ces temps derniers…
Il n’y avait rien sur l’écran du collimateur de tir…
Un autre trait de laser les frappa de plein fouet. Le radar indiqua un point minuscule, à peine plus gros qu’une table basse, par bâbord avant, en dessous du vaisseau.
Yan poussa un nouveau juron et procéda à un autre calibrage de ses instruments. Au même instant, la voix de Lando éclata dans son écouteur.
– Tu les vois ?
Et Solo les vit.
Des poussières microscopiques sur les moniteurs. Mince, ces machins ne doivent pas faire plus de deux mètres de long ! Chacun d’entre eux était de la taille d’un canon laser standard. Il y avait à peine la place d’y loger ne serait-ce qu’un pilote… Mais comment ont-ils été fichus d’arriver jusqu’ici ? Où se trouve leur base de départ ?
Nouvel impact. Les étoiles se mirent à tournoyer follement par les hublots. Lando était en train d’exécuter une manœuvre d’échappée. Par l’ouverture de la tourelle, Yan aperçut un scintillement furtif dans le vide du cosmos. Ces petits appareils, quels qu’ils soient, devaient être couverts d’une couche de peinture d’un noir mat et dépourvus de lumières.
Bon sang mais il y en a partout ! Solo tira une rafale de ses mitrailleuses laser. Autant essayer d’assommer un gnat avec une batte de smashball. Ses mains s’activèrent prestement sur les commandes, réglant le tir sur le calibrage le plus bas, tandis qu’il s’acharnait à garder un œil sur l’ennemi potentiel.
– D’où viennent-ils ? cria-t-il dans l’intercom.
– Il n’y a rien sur les scans ! hurla la voix de Lando en retour. Pas de base… Pas de vaisseau…
– Ils n’ont quand même pas pu surgir de l’hyperespace, ils sont bien trop petits pour ça ! Merde !
Un autre tir venait de les atteindre. Le moniteur de l’écran déflecteur signala la présence d’une fissure. Yan essaya de nouveau de tirer à l’aveuglette en une vaine tentative car Lando venait de faire faire une embardée au cargo pour le retourner et protéger la zone sensible de la coque. Le Corellien espéra que les survivants qu’il avait installés dans les soutes étaient bien arrimés. Cela dit, aucun d’entre eux n’était suffisamment conscient pour s’en soucier réellement.
– Ce serait pas des drones ?
– Des drones ? Mais on ne peut pas envoyer des drones à travers l’hyperespace ! Et puis, ça ne ressemble pas à des tirs de drones, ça !
Les tempêtes de méthane de l’atmosphère de Damonite Yors B disparurent derrière eux. Lando exécuta une nouvelle manœuvre pour échapper aux tirs et, par les hublots, le disque jaune acide de la planète bascula dans les ténèbres du cosmos. Yan décocha une nouvelle rafale. Son regard fut attiré par quelque chose au moment même où le Faucon plongeait vers ce qui ressemblait à une brèche au beau milieu des vaisseaux assaillants.
S’agit-il bien de vaisseaux ? songea Yan. Y a-t-il un pilote à bord ? Rien n’était sûr. Hors tout, ils devaient faire environ deux mètres cinquante de long pour moins d’un mètre de diamètre. Des cylindres sans marque, hérissés de protubérances ressemblant à des tourelles de canons laser. Que pouvait-il bien y avoir à l’intérieur ? Des bonshommes gros comme le pouce ?
– Fais-nous dégager d’ici ! hurla-t-il en sachant pertinemment que c’était exactement ce que Lando était en train d’essayer de faire.
Les petits appareils les encerclaient comme une nuée de scarabées-piranhas. Ils allaient et venaient à vive allure, suivant avec précision chaque mouvement du cargo corellien, empêchant toute tentative de saut dans l’hyperespace. Un signal lumineux s’alluma sur la console. L’éclat rouge indiquait qu’un autre écran déflecteur venait de rendre l’âme. Il y eut une secousse très perceptible à bord. Par les ouvertures de la tourelle, Yan vit des éclairs d’énergie crépiter à la surface de la coque du Faucon. Tout autour, il sentit que les écrans de protection restants essayaient de compenser. Au même instant, il entendit Lando faire une remarque dans son écouteur.
– Ils ne gobent pas les transmissions leurrées que je leur envoie. Ça ne peut pas être des drones !
– Je vais nous dégager un passage ! cria Solo en guise de réponse. (Un flash blanc aveuglant à l’extrémité de son champ visuel lui signala que les vaisseaux miniatures venaient de toucher une partie des superstructures du Faucon Millenium.) Tout droit, quand je compterai trois, cap au zéro-sept-six.
– Mais, Yan, mon vieux, qu’est-ce que…
– Ne discute pas !
Au même instant, il fit feu de tous les canons installés à la proue. Une colonne de destruction fusa, toute droite, dans la direction qu’il venait d’indiquer en un flot continu de lumière vive. Comme un chiot poursuivant son ombre, le Faucon suivit le passage de la lumière en accélérant de plus en plus. Yan observa les explosions qui se produisaient devant eux, calculant – à l’instinct plus qu’avec l’aide des instruments de bord – le moment précis où ils pourraient passer en hyperluminique sans être pris dans leurs propres tirs. Les minuscules vaisseaux, échappant au feu, se regroupèrent de part et d’autre du cargo. Ils concentrèrent leurs lasers sur cette cible qui maintenait à présent un cap constant derrière sa colonne meurtrière.
Yan se mit à compter.
– Un… Deux… Son plan avait intérêt à marcher… (Le dernier bouclier déflecteur disparut dans un éclair blanc. Les côtés du visage de Yan furent soudainement nimbés par les signaux d’alerte rouge qui venaient de se déclencher sur les panneaux de commande. Le Faucon avançait toujours dans le sillage éclatant de ses lasers…) Trois !
Lando s’arc-bouta sur les contrôles. Ses réflexes étaient foudroyants. Les étoiles semblèrent se figer un instant avant de se transformer en lignes continues d’une clarté étincelante.